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« NOUS VOULONS AVOIR UNE CAMPAGNE D'AVANCE EN FOURRAGES »

PHOTOS : © THIERRY PASQUET

ÉLEVEURS BIO, ÉRIC ET FABRICE ONT EU TRÈS PEUR LORS DE LA SÉCHERESSE DE 2011. POUR NE PLUS REVIVRE CELA, ILS VONT REVOIR LEUR ASSOLEMENT ET LEUR POLITIQUE DE STOCKS FOURRAGERS.

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NOTRE CONVERSION AU LAIT BIO S'EST FAITE ASSEZ NATURELLEMENT EN 2001. Tout d'abord, par notre mode de production, nous n'en étions pas très loin. Ensuite, cela a coïncidé avec l'arrêt de 5 ha de vignes… » Dix ans plus tard, Éric et Fabrice ne regrettent pas ce choix : « À l'époque, cette production ne constituait pas un réel enjeu économique pour l'exploitation mais en plus aujourd'hui, le muscadet connaît une crise qui entraîne une réduction des surfaces viticoles. »

Un autre élément a conforté leur décision : une réelle disponibilité en surfaces fourragères. « Dans les années quatre-vingt-dix, la commune du Bignon craignait le développement des friches. Pour ces raisons, elle a incité les agriculteurs du secteur à reprendre des surfaces inexploitées après avoir financé leur remise en état, y compris le chaulage. » Comme d'autres, le Gaec de la Noë, d'abord familial (Éric et ses parents) puis élargi à un voisin en 1998 (avec l'arrivée de Fabrice), a bénéficié de cette dynamique.

« NOTRE OBJECTIF : PRODUIRE 550 000 L AVEC 70 VACHES »

Depuis, l'exploitation a achevé sa conversion, livrant ainsi l'an passé 530 000 l de lait (avec les compléments de référence).

Au fil des ans, les associés ont affiné leur « philosophie » de production. Si certains de leurs collègues bio acceptent de voir baisser un peu le niveau du tank les mauvaises années, Éric et Fabrice entendent produire tout leur quota (plus le lait donné aux veaux), et les compléments éventuels qui leur sont proposés. « Notre objectif est de livrer 550 000 l avec un niveau de performance qui permet de rester à 70 VL, c'est-à-dire autour de 8 000 l/VL. »

Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d'abord, si la stabulation compte 90 logettes, il n'y a que 70 places au cornadis. « Ensuite, quand nous étions encore à 7 000 l par vache, avec notre salle de traite en 2 x 6, nous étions à la limite en terme de travail. Une heure et demie à la traite, sans parler du lavage, c'est pour nous le maximum à ne pas dépasser… En outre, plus la moyenne d'étable est basse, plus il y a de bouches à nourrir ! »

Et des estomacs en plus, c'est justement ce que l'on ne veut surtout pas avoir, en ces années où les sécheresses semblent se faire plus fréquentes !

« NOTRE PARCELLAIRE EST FAVORABLE »

L'exploitation a certes des atouts : « Côté parcellaire, reconnaissent Éric et Fabrice, nous ne sommes pas mal ! Nous avons en effet la possibilité de sortir les vaches sur environ 70 ha, majoritairement drainés. » En année normale, le pâturage est ainsi possible de la mi-février jusqu'au 15 décembre, et le silo peut être fermé près de deux mois. Mais sur ces sols sableux, séchant rapidement au printemps, « si nous n'avons pas de pluie tous les quinze jours, les repousses de fourrages sont vite stoppées. Et de mi-juillet à septembre, en général, il n'y a plus d'herbe ». Le phénomène a été encore plus précoce en 2010, et à l'origine d'une première alerte pour les associés : « En 2008 et 2009, se souviennent-ils, les rendements avaient été corrects, en herbe comme en maïs (qui procure habituellement ici entre 8 et 10 t de MS). Du coup, nous avons débuté 2010 avec des stocks, mais ils ont régulièrement fondu au fil des mois. »

En outre, à l'automne, les rendements en maïs se sont avérés très bas : 6,5 t de MS au lieu de 12 t l'année précédente ! « Nous partions avec un petit report de stock, mais très inférieur à d'habitude puisque nous avions tapé dedans. »

Pour essayer de « rectifier le tir », les associés ont alors réalisé des sursemis de trèfle sur les prairies. « Il a levé normalement mais ensuite, nous ne l'avons pas revu. De ce fait, au début 2011, le moteur de la prairie n'était pas là… et en bio, nous n'avons pas cet accélérateur qu'est l'azote minéral pour l'agriculture conventionnelle. »

Le temps sec a accentué les choses, avec de petits rendements sur les ensilages de printemps. « Notre inquiétude a grandi avec les maïs, semés au 25 avril. Quand nous avons fait un bilan fourrager, en mai, ils avaient mal levé et n'étaient pas beaux du tout. Nous avons commencé à penser que si nous en tirions 4 t de MS/ha, ce serait le maximum. » Depuis, c'est vrai, l'été plus arrosé a un peu changé la donne. Mais à l'époque, inquiets, Éric et Fabrice décident d'ensiler leurs mélanges céréaliers, s'assurant ainsi 6 t de MS d'un fourrage de qualité aujourd'hui stocké en boudins. En contrepartie, ils ont dû renforcer sensiblement leurs achats de soja et de colza bio pour compenser ce déficit. Immédiatement après cette récolte, ils ont semé des espèces « soudures ». Et d'abord du millet perlé sur 4,5 ha.

« Même s'il a été semé un peu clair, il a levé et s'est bien comporté. Nous avons toujours eu dessus six ou sept vaches taries pour un apport que nous estimons à 10 à 12 t de MS en tout. » Implantés parallèlement sur 13 ha, des colzas pâturés ont apporté l'équivalent d'une trentaine de tonnes de matière sèche. « Même additionnés, l'un et l'autre ne représentent cependant pas beaucoup par rapport à nos besoins totaux. Elles n'en représenteront jamais plus de 10 %. Mais c'est autant de moins à prélever sur des stocks par ailleurs au plus bas. »

« ICI, C'EST AU PRINTEMPS QU'IL FAUT AGIR »

Les associés le savent donc : « Nous ne pouvons pas baser notre sécurité fourragère sur des dérobées d'été dont la levée n'est pas assurée en cas de sécheresse. » Il leur faut donc bâtir une autre stratégie. Et d'insister : « Vu les deux années que nous venons de passer, nous voulons absolument constituer et conserver des stocks en visant une année d'avance, soit 250 t de MS à la fin mars. »

Première étape du raisonnement : chiffrer leurs besoins annuels pour les UGB présentes, soit environ 1,6 t de maïs et 4,3 t d'herbe par vache laitière, et 5,6 t d'herbe par génisse. En parallèle, et compte tenu du contexte pédoclimatique du lieu, les associés ont essayé d'évaluer le niveau de pertes fourragères en année de sécheresse grave. « Très schématiquement, 10 % de perte de rendement représentent environ 500 kg de MS en moins par UGB. Ailleurs, dans le département, un accident majeur se traduirait par 30 % de baisse de rendement. Mais ici, nous avons frôlé les 50 % en 2010, soit un manque de 2,5 t par UGB. » Autrement dit, le stock de sécurité optimal à constituer serait de 260 à 280 t.

Mais ce stock ne peut pas être constitué en une seule année. Alors quoi faire et à partir de quel assolement ? « Une chose est sûre : ici, c'est essentiellement au printemps qu'il est possible de réaliser des stocks et en tout cas, au plus tard en avril-mai-juin. » À partir de là, les associés ont étudié diverses hypothèses. À commencer par la reprise de terres : « Nous ne sommes pas forcément preneurs, mais il est possible que nous soyons obligés de le faire, non pas pour agrandir, mais simplement pour essayer de sauvegarder notre surface actuelle. » En effet, l'exploitation ne se trouve qu'à 3,5 km du bourg et à 4,5 km de la commune des Sorinières, située dans l'agglomération nantaise. « Entre les deux, il y a des zones d'activité dont l'extension menace une vingtaine d'hectares, les plus éloignés, sur lesquels nous n'avons aucune garantie de pouvoir rester à terme. » Si quelques hectares étaient repris, ce ne serait donc qu'une compensation, peut-être même partielle.

Pour la même raison, la suppression de l'atelier des boeufs, qui exploite justement les surfaces les plus éloignées, n'apporterait pas totalement la solution. « En revanche, ils restent un élément de souplesse : ce printemps, nous en avons ainsi vendu une dizaine, certes partis un peu jeunes, mais qui n'ont plus consommé une fois vendus. » On pourrait aussi jouer, à la marge, sur l'étalement des vêlages pour lisser les périodes de fortes consommations…

« L'effet serait cependant limité. C'est une hypothèse que nous gardons sous le coude, mais plutôt dans un objectif de maîtrise sanitaire. »

« LES CÉRÉALES, NOTRE SÉCURITÉ »

Éric et Fabrice sortent en revanche confortés de leur expérience du printemps 2011 : « Les céréales peuvent être notre tampon de sécurité. Ensilées si besoin, nous en tirerons toujours au moins 6 t de MS. Quant à la paille pour la litière, nous en trouvons toujours… Augmenter la surface en mélanges céréaliers au détriment des boeufs nous donnerait donc un peu plus de marge de sécurité. Récoltés en grains – nous en tirons habituellement 40 q – il sera toujours possible d'en vendre si nous en avons trop. ». En sachant que le potentiel en maïs restera toujours limité, l'autre levier important reste l'amélioration de la production d'herbe. Hier récoltée en foin (voir encadré), elle est majoritairement ensilée en première coupe puis, selon les surfaces et les espèces, exploitée en pâturage et en foin. « Il nous faut vraiment des prairies plus précoces et plus productives. Si nous pouvions en obtenir simplement 1 t de MS/ha en plus, ce serait un apport énorme, compte tenu de la surface ! » L'enjeu est effectivement de 100 tonnes, voire plus à l'échelle de l'exploitation.

Alors, depuis peu, Éric s'est attaqué à revoir les associations d'espèces pour ses prairies de longue durée. Jusque-là, elles étaient généralement constituées de fétuque élevée et de fétuque des prés avec des dactyles, des RGA, du trèfle blanc et du trèfle hybride. Mais désormais, il fait évoluer les proportions de chaque espèce et il y a surtout ajouté des trèfles violets et du ray-grass hybride. « Pour faire des stocks, il faut que la pousse soit rapide au printemps. C'est le cas avec ces plantes qui démarrent très vite en saison. Et comme nos sols sont plutôt portants, nous devrions pouvoir aller les chercher très tôt, sans matraquer les sols. Ce ne sera pas un modèle unique mais nous avons commencé par 13 ha cette année, sur lesquels sortir 2 t de matière sèche en plus ne nous paraît pas impossible. » Parallèlement et pour la première fois, le Gaec a semé 4 ha d'une association de luzerne (18 kg/ha) et de dactyle (6 kg) : « Nous pensons que ces surfaces devraient normalement nous assurer autour de 9 t de matière par hectare. » Les associés réfléchissent aux moyens d'améliorer encore leur gestion du pâturage, en lien avec ces nouvelles prairies, et avec des sorties habituellement possibles dès la mi-février. Ils ont même pensé au pâturage hivernal, sans rien décider pour l'instant : « S'il n'y a pas de pluie, nous pouvons envisager deux à trois heures de sortie par jour… » Soit un apport d'1 UF environ. « D'un autre côté, nous pensons que le pâturage a besoin d'une période de repos. Mais, à la marge, pourquoi pas ? Ce serait autant de reports de stocks… »

« PRIORITÉ ABSOLUE AUX FOURRAGES »

Ces réflexions ont conduit Éric et Fabrice à adapter leur assolement pour l'an prochain. Il sera ainsi constitué de 14 ha de maïs (au lieu de 18 ha), de 4 ha de luzerne, de 108 ha de prairies et de 22 ha de mélanges céréaliers (+ 4 ha).

« Cette nouvelle répartition nous permettra, nous l'espérons, d'atteindre notre double objectif : constituer les stocks le plus tôt possible dans l'année et donner une priorité absolue à l'herbe »

La trésorerie de l'exploitation, plutôt saine, doit permettre d'acheter s'il en est besoin des concentrés comme en 2011.

« En revanche, lorsque nous manquons de fourrages grossiers, le stress est insupportable, surtout en bio. » Quant à la question du coût des stocks ainsi constitués, les associés la balaient d'un revers de main.

« Le seul coût, c'est celui des intérêts. Mais ce qui coûte cher – surtout en bio – c'est de ne pas en avoir, des stocks ! »

GWENAËL DEMONT

Lors du regroupement de deux exploitations, en 1988, deux sites à 500 m l'un de l'autre ont été conservés, dont l'un est consacré aux génisses.

4,5 ha de millet perlé ont été semés derrière les céréales en vue de faire pâturer les vaches taries, elles y étaient encore début octobre. C'est un apport de 10 à 12 t de MS.

Ne plus augmenter l'effectif des vaches laitières mais livrer tout le quota même les années difficiles, c'est l'objectif premier des associés. Il faut donc des vaches à 8 000 kg.

L'attention portée au choix des espèces est un élément à part entière de la stratégie de sécurité fourragère avec, pour objectif, une pousse rapide au printemps.

Ayant choisi cette année d'ensiler ses mélanges céréaliers, le Gaec a dû se couvrir plus que d'habitude en concentrés. La trésorerie de l'exploitation le permet.

Être en manque de fourrages grossiers est un stress difficilement supportable en élevage bio.

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